« C’est celle-ci que je veux » Chaque syllabe est exagérément articulée, et les phalanges enfantines désignent avec détermination une poupée de porcelaine aux traits fins et aux joues rosées. Une chose est sûre, celle-ci n’est pas estampillée made in china. La matriarche porte la main à l’étiquette, et réprime un gémissement. Ce jouet doit bien coûter un quart de son salaire. Alors elle tente, même si elle sait pertinemment qu’auprès du visage rond et des grands yeux d’albâtre, elle ne pourra pas grand-chose. « Ma chérie, tu pourrais en choisir une autre. Regardes celle-ci. » La main désigne une délicate barbie aux jambes vertigineuses, et aux cheveux blonds cendrés. Yuna sent la situation qui lui échappe. Elle ne veut pas celle-ci. Elle veut l’autre. Les pupilles se comblent alors de douces perles salées, et le visage se tord dans une moue douloureuse : « Mais c’est vraiment celle-ci que je veux...» le ton n’a plus rien d’assuré, la voix est chevrotante, tremblante, et la petite créature pâle semble de plus en plus fragile lorsque les larmes viennent sillonner ses joues. La mère sent les entrailles qui se tordent, et la culpabilité qui lui lie le cœur. Celle de ne pas lui avoir donné de père. Alors elle cède, elle veut qu’elle arrête de pleurer. Yuna, à partir du moment où elle tient l’objet de tous ses désirs entre ses paumes semble rayonner, plus aucune trace de tristesse sur son visage. Tout le monde est heureux. Oh oui. La façade familiale rayonne. L’intérieur lui, se gangrène, se désagrège. La gamine n’en a pas conscience, alors elle serre son nouveau bien contre son coeur, sans un merci pour le sacrifice financier dont elle ignore tout. .


avril 1999 le patriarche Fujii abandonne le foyer, et sa femme enceinte. on ne le reverra plus.
juillet 1999 naissance de Yuna dans un hôpital de Tokyo, fille sans père mais bien entourée par sa mère, son frère et sa soeur.
2005 yuna se casse le bras en tombant violemment à vélo dans les rues de Tokyo. elle en garde plusieurs cicatrices.
2009 yuna assiste à une exposition sur la peinture japonaise au musée national de Tokyo. c'est la révélation : elle veut faire ça et elle y arrivera.
2015 la mère de yuna fait un burn-out, elle est obligée d'arrêter de travailler. depuis elle ne peut plus rien faire sous peine de faire des crises de paniques.
2017 yuna fait son entrée à la prestigieuse Tōkyō Geijutsu Daigaku, l'université des arts pour pouvoir y étudier le dessin - plus spécifiquement la peinture japonaise.